GÉOTECHNIQUE

GÉOTECHNIQUE
GÉOTECHNIQUE

Les déformations du sol engendrées par les charges apportées par les ouvrages de génie civil ou par les contraintes provoquées par les travaux en souterrain ne doivent pas mettre en péril les structures elles-mêmes. Elles ne doivent pas a fortiori atteindre la limite qui provoque la rupture des massifs de sol ou de roche, par exemple lors du poinçonnement du sol sous une fondation ou lors du glissement de terrain qui bouscule un mur de soutènement en entraînant la ruine de l’ouvrage. Dans certains cas, c’est la structure qui apporte des contraintes sur les massifs (appuis d’un barrage-voûte sur ses rives), dans d’autres, c’est le sol qui exerce des contraintes sur la structure (revêtement d’un tunnel). Dans tous ces exemples, il s’agit de problèmes ordinaires de mécanique, comme on en rencontre pour la construction d’une machine, d’un pont, d’un navire ou d’un avion.

Dans le génie civil cependant, la détermination des déformations des appuis sous les charges et de la charge ultime qui provoque la rupture des massifs est un problème mécanique tout à fait particulier parce qu’il se heurte à une double incertitude. Il y a d’abord celle qui est liée à la définition géométrique du milieu géologique étudié: on ne connaît bien de notre Terre que sa surface, généralement cachée sous un manteau de 5 à 20 centimètres de terre végétale; même si celui-ci est enlevé, ne disposant ni des rayons X ni du radar, la structure d’un sol sur un site donné n’est connue en profondeur que d’une façon approximative.

La seconde incertitude est celle qui règne sur les propriétés mécaniques – sur les qualités rhéologiques – des matériaux constitutifs des massifs de terre ou de roche; ces propriétés sont en effet très différentes, comme le montrent les dénominations utilisées (sable, limon, argile, roches), les diverses compositions minérales, les compacités, qui sont fonction de l’histoire antérieure des chargements des massifs naturels. À l’opposé des matériaux industriels, les sols et les roches sont remplis d’imprévus, et il est nécessaire de faire sur chaque site une reconnaissance pour identifier et éprouver les matériaux naturels.

La géotechnique est la discipline qui tente la synthèse des informations nécessaires pour résoudre les problèmes appliqués que la pratique de la construction rencontre pour chaque nouveau site, pour chaque nouvelle structure. Elle fait appel à la géologie pour établir le schéma géométrique le plus proche de la réalité du sol et pour la détermination des conditions aux limites du problème mécanique. Elle fait appel à la mécanique des sols et à la mécanique des roches pour la définition du modèle de comportement des matériaux rencontrés, le but final étant la résolution d’un problème d’équilibre statique, de déformation sous charge ou de dynamique, posé par nos structures ou par la nature, comme dans le cas des glissements de terrain ou des séismes.

La géotechnique est une science appliquée et, à ce titre, elle a une incidence économique importante. Le coût des fondations d’un immeuble de grande hauteur, comme la tour Maine-Montparnasse, à Paris, représente 5 p. 100 du coût total des travaux mais, pour un garage enterré en site urbain, le coût des fouilles peut atteindre 25 p. 100 de l’ensemble; bien entendu, il atteint 100 p. 100 pour la construction d’une digue ou d’un remblai. Une statistique portant sur trente années (de 1960 à 1990) montre que, sur 10 000 accidents de bâtiments en France, 3,5 p. 100 proviennent du sol. La statistique serait probablement moins sévère aujourd’hui, du fait des progrès réalisés dans la reconnaissance des sols depuis le milieu des années soixante-dix.

Il est difficile de situer les débuts de la géotechnique, même si le mot est moderne. Dès que l’homme a construit quelque chose, il lui a fallu des points d’appuis sûrs. Dans une science aussi appliquée faut-il penser d’abord à la théorie ou à la pratique? À la formulation des lois de l’équilibre ou à la réalisation des pieux des premières habitations lacustres (qui datent probablement de 7 000 ans en Suisse, en Italie et en Irlande)? Au critère de rupture identifié par Coulomb (1773) ou bien aux grandes masses de terre et de pierres des premières pyramides? Il est en effet difficile de croire que les constructeurs de l’église Sainte-Sophie de Constantinople, bâtie en cinq ans, de 532 à 537, sous le règne de l’empereur Justinien, ou ceux de la mosquée Suleymaniyé, bâtie en six ans, mille ans plus tard, elle aussi à Constantinople, n’aient pas fait de la géotechnique sans le savoir et sans mener une réflexion sur l’art de construire sur ou avec le sol.

On attribue cependant, classiquement, les débuts de la mécanique des sols à Vauban (1633-1707), pour les principes de calcul et la construction des murs de soutènement des ouvrages militaires et des fortifications dans son Traité de la défense de places (1687), et à Coulomb, pour la formulation du critère de rupture des sols. À partir des travaux de Coulomb, les progrès sont allés très vite, et le développement de la mécanique des sols au XVIIIe et au XIXe siècle a été essentiellement une longue compétition franco-anglaise avec quelques autres travaux européens à Berlin, à Göttingen ou en Suède. L’École française, très mathématique, avec Coulomb, Prony, Poncelet, Boussinesq, Resal puis, au XXe siècle, avec Caquot, Mandel, Salençon a développé de nombreux aspects théoriques de la poussée des terres mais aussi de la plasticité et de la rupture, cependant que l’école anglaise, beaucoup plus pragmatique, traitait de problèmes pratiques comme les chaussées, les tranchées, les talus en remblai, les tunnels ou les murs de soutènement avec McAdam, Telford, Gregory, Rankine, Skempton, Bishop. Mais c’est Karl Terzaghi, au XXe siècle, qui a apporté à cette ancienne discipline à la fois le nom de géotechnique mais aussi l’influx de l’expérimentation en laboratoire: ce courant s’est répandu dans le monde entier à partir de 1935. On doit aussi à Terzaghi la théorie de la consolidation des couches argileuses, c’est-à-dire l’expulsion de l’eau d’un sol compressible sous l’effet d’une surcharge, ce qui engendre un tassement différé des sols, qui deviennent donc viscoélastiques.

1. Reconnaissance d’un site

Après l’examen d’un site sous l’angle morphologique, topographique et hydrographique, il faut déterminer la nature géologique et l’hydrogéologie locales. Dans les pays développés, il existe des cartes géologiques dont l’examen permet d’avoir une première information sur la nature des sols ou des roches, sur la structure géologique, sur le pendage des couches, etc. En France, le Bureau de recherches géologiques et minières (B.R.G.M.) conserve la trace de tous les sondages qui sont effectués, et cette banque de données est extrêmement précieuse. Mais des accidents géologiques locaux ont pu se produire, et il est indispensable de vérifier le premier schéma supposé du sous-sol au moyen de sondages qui permettent de préciser les positions relatives et les épaisseurs des couches rencontrées. La reconnaissance par sondages, puits, tranchées ou galeries est irremplaçable mais coûteuse, même si on peut en minorer le prix par des prospections géophysiques (électrique, acoustique, gravimétrique, thermographique, etc.): l’imagerie géophysique en est à ses débuts; elle n’a pas encore, pour l’instant, la précision de l’imagerie médicale mais ses progrès sont constants. La reconnaissance par sondage carotté permet de prélever des échantillons de sol et de roche, d’identifier les matériaux et de mesurer leurs propriétés mécaniques. Pour ces dernières, des sondages économiques destructifs avec enregistrement des paramètres de forage, puis des essais en forage (pressiomètre, pressiomètre autoforeur) ou même des essais in situ par fonçage ou battage depuis la surface (pénétromètre statique ou dynamique, scissomètre) permettent d’acquérir des informations sur la résistance ou sur la déformabilité des sols.

2. Identification et propriétés des sols

Sous l’humus, le sol est constitué de grains minéraux. Cent grammes de sable fin (c’est-à-dire de l’ordre d’une molécule-gramme) contiennent près de 107 grains. Cent grammes d’argile peuvent en contenir 1011. On est certes encore loin du nombre d’Avogadro (6,02 . 1023) mais le nombre de constituants est tel que le concept de continuité peut le plus souvent être conservé. Si les grains sont convexes, on démontre que le nombre moyen de contacts par grain est compris entre 6 pour les textures le plus lâches et 12 pour les textures le plus compactes. Ainsi, dans un enrochement bien compacté par des engins, par exemple pour un barrage, on trouve couramment entre 8 et 10 contacts. Entre les grains existent des vides remplis d’un fluide, liquide ou gaz, eau ou air. À la déformation du sol sont associés un changement de position des grains (eux-mêmes très peu déformables) et une déformation de l’architecture des vides accompagnée le plus généralement d’une variation du volume des vides. Si la déformation est suffisamment rapide pour que le fluide interstitiel n’ait pas le temps de s’échapper, il y a apparition d’une pression interstitielle qui diminue les forces de contact entre les grains et engendre des mouvements hydrodynamiques dans le fluide interstitiel. Aussi, bien que le sol puisse être décrit dans un cadre continu, son comportement est régi par l’aspect particulaire et par les forces de contact entre les grains, frottement physique pour les grains les plus gros (c’est-à-dire supérieurs à 0,1 mm), forces capillaires et adhésion pour les grains les plus fins, par mise en commun des réseaux cristallins des premières couches d’eau adsorbées par les particules argileuses.

Pour identifier les sols, au-delà de l’analyse immédiate – odeur, couleur, saveur – et de l’analyse minéralogique, les géotechniciens ont été amenés à réaliser des essais où l’on mesure des grandeurs dont la définition n’a pas une aussi grande rigueur que celles des grandeurs physiques classiques mais dont les résultats sont suffisamment fidèles lorsque les essais sont effectués en suivant des normes rigoureuses. Le but de l’identification des sols est de pouvoir comparer des matériaux de compositions minérales différentes sur lesquels des constructions analogues ont été placées, ou encore de comparer des états différents d’un même matériau. Il faut citer:

– l’analyse granulométrique , véritable fiche d’identité d’un sol, puisqu’elle donne la répartition des dimensions des grains qui le composent; elle se fait par tamisage pour les grains supérieurs à 80 micromètres et par sédimentation pour les plus fins; la difficulté réside dans la séparation des grains, qui doit être parfaite mais sans être trop brutale, de peur de briser les particules;

– la teneur en eau naturelle w , rapport du poids de l’eau au poids des éléments solides du matériau, exprimée en pourcentage; la difficulté de la mesure réside dans le fait qu’on s’intéresse essentiellement à l’eau libre et non aux eaux plus ou moins bien fixées dans la structure cristalline de certains constituants (le gypse par exemple);

– les limites d’Atterberg (du nom d’un pédologue suédois); ce sont des teneurs en eau limites qui définissent des changements d’état physique des sols; la limite de liquidité w l est la teneur en eau au-dessus de laquelle le sol se comporte comme un semi-liquide et s’écoule sous son propre poids; la limite de plasticité w p est la teneur en eau au-dessous de laquelle le sol perd sa plasticité et devient friable; la différence w lw p = I p, ou indice de plasticité, est d’autant plus grande que l’activité colloïdale des particules fines est grande;

– l’état de serrage du sol ; la connaissance de la compacité d’un sol est très importante en pratique, car plus un sol est dense, plus il est résistant et moins il est déformable (on améliore la compacité de la terre battue d’un court de tennis en y passant le rouleau); on peut définir l’état de serrage à partir de l’indice des vides e (rapport du volume des vides au volume des pleins), ou à partir de la porosité n (rapport du volume des vides au volume total), avec e = n /(1 漣 n ), ou à partir de la densité apparente;

– la perméabilité ; l’écoulement de l’eau dans les sols est régi par la loi de Darcy v = ki (où v est la vitesse d’écoulement sous un gradient hydraulique i = dh /ds , dh étant la perte de charge le long de l’élément d’arc ds d’une ligne de courant, et où k est le coefficient de perméabilité); on mesure k au moyen d’un essai de percolation; il peut varier de 10 à 10-10 cm/s selon la granulométrie; pour les sables, un ordre de grandeur est donné par la loi de Hazen: k cm/s = 100 (D 10cm), où D 10 est la dimension des grains telle que 10 p. 100 en poids soient plus petits; la perméabilité dépend aussi de l’état de serrage du sol, et elle peut varier pour un même sol d’un facteur voisin de 10; enfin, elle dépend de la texture du sol, c’est-à-dire de la forme, de la dimension et de l’arrangement des particules solides, des inclusions organiques et des vides associés; par exemple, si le sol est anisotrope parce que la sédimentation a créé des couches alternées de fines et d’éléments grossiers, la perméabilité est aussi anisotrope, le rapport de la perméabilité horizontale à la perméabilité verticale pouvant atteindre 100 ou même 1 000; l’échantillon sur lequel on fait un essai de perméabilité doit donc être prélevé avec soin de façon à être complet (toutes les classes granulométriques ont été prélevées), représentatif (l’architecture du sol n’a pas été modifiée) et intact (l’état de serrage est inchangé); il en est de même pour les échantillons destinés à l’étude des propriétés mécaniques des sols.

Sous l’effet des sollicitations extérieures, les contraintes naissent aux contacts entre les grains et, comme la géométrie du contact change (problème de Hertz), la relation entre les contraintes et les déformations est non linéaire. Lorsque les contraintes déviatrices augmentent, les vecteurs forces de contact se rapprochent du cône de frottement; des glissements locaux de plus en plus nombreux se produisent d’une façon irréversible, puis de grands glissements généralisés surviennent avec destruction de la texture initiale, et la rupture se produit. S’il y a de l’eau, des effets de viscosité existent.

Les mesures des propriétés rhéologiques des sols sont tout à fait analogues à celles que l’on fait classiquement pour d’autres matériaux. Pour l’élasticité , on détermine, par exemple dans un appareil à chargement triaxial, le module de Young et le coefficient de Poisson par des mesures de déformation sous charge. La compressibilité différée est mesurée dans un œdomètre, qui est un cylindre dans lequel coulisse un piston. Une galette de sol assez peu épaisse (de 1 à 2 cm) est placée entre des pierres poreuses au fond du cylindre; la charge exercée par le piston permet d’expulser progressivement l’eau interstitielle en fonction du temps et en fonction de la pression. La compressibilité du sol n’est évidemment pas plus linéaire que l’élasticité; la figure 1 donne la courbe de consolidation correspondante (le mot consolidation est employé ici pour rappeler que, lorsque le sol expulse de l’eau, il devient plus raide et plus résistant).

La résistance à la rupture est obtenue par un essai de cisaillement ou à l’aide de l’appareil pour essai triaxial par le chargement ultime que l’éprouvette peut supporter sans se rompre. D’une façon générale, le critère de rupture exprime la résistance maximale au cisaillement t que peut supporter le sol (fig. 2), et l’on a t = C + n tg (C : cohésion; : angle de frottement interne; n : contrainte normale au plan de glissement): c’est le critère de Coulomb, qui s’apparente à la loi du frottement physique t = n tg par l’addition du terme de cohésion. Le critère de rupture doit être appliqué aux forces qui s’exercent sur le squelette solide, et les contraintes sont celles qui existent en moyenne entre les grains; il faut donc soustraire des contraintes totales i la pression interstitielle u , et Hvorslev a réécrit le critère de Coulomb sous la forme t = C + (nu ) tg .

Sous l’effet des déformations qui précèdent la rupture, le squelette des grains d’un sable sec subit des variations de volume. Les sables denses augmentent de volume: ils foisonnent. Les sables lâches se contractent. Pour une pression moyenne donnée, il existe une densité dite densité critique, telle que la variation de volume entre l’état initial et l’état final soit nulle. Si le sable est saturé, les variations de volume du squelette engendrent des pressions interstitielles positives ou négatives et, par conséquent, des mouvements d’eau. Pour les argiles saturées proches de la surface, la densité est presque toujours plus faible que la densité critique, et l’application d’une contrainte se traduit toujours par une augmentation de la pression interstitielle. Enfin, que ce soit à cause du foisonnement d’un sable dense ou de la destruction d’une structure dans une argile raide, la courbe effort-déformation présente dans ces deux cas un maximum suivi d’un palier. Il y a alors localisation de la déformation et formation d’un plan de glissement.

3. Identification et propriétés des roches

On peut dire pour les roches à peu près la même chose que pour les sols quant à la diversité des espèces (roches éruptives, métamorphiques ou sédimentaires), de leur dénomination et des compositions chimiques (calcaire, grès, marbre, schiste, granite, micaschiste, etc.) et, pour un même matériau, des diverses résistances en fonction de son degré de fissuration. Les fissures sont la clef du comportement des roches et des massifs rocheux. On peut les définir comme des vides plats dont le rapport de l’épaisseur à la longueur est de l’ordre de 10-3. Sous l’effet des charges, ces fissures se referment progressivement, donc avec un changement de géométrie et, comme pour les sols, avec une non-linéarité entre efforts et déformations, du moins tant que les fissures ne sont pas complètement fermées, ce qui se produit à des pressions variables selon les roches et leur état de fissuration, mais qui peut être de l’ordre de 25 à 50 mégapascals pour un calcaire (soit la pression géostatique correspondant à une profondeur de 1 000 à 2 000 m).

La présence des fissures a une importance considérable (à l’échelle du joint de grains entre les minéraux, à l’échelle décimétrique ou métrique pour les cassures des massifs rocheux, à l’échelle kilométrique pour les grandes discontinuités géologiques, comme les failles) sur toutes les propriétés physiques ou mécaniques des roches ou des massifs rocheux: l’élasticité et la compressibilité non linéaires, la perméabilité, la conduction de la chaleur, la vitesse de propagation des ondes sonores, leur anisotropie et leurs variations en fonction des contraintes (qui écrasent les vides des fissures et rétablissent la continuité de la matière) sont essentiellement liées à la présence des fissures et à leur orientation. Le rôle de la fissuration est essentiel dans la rupture des roches et des massifs rocheux. La rupture d’une roche se produit après l’allongement des fissures sous charge par leur coalescence. La rupture d’un massif est presque toujours la mobilisation et le développement d’une cassure préexistante, et cela explique à la fois la dispersion des résultats et l’effet d’échelle (plus le volume chargé est grand, plus la contrainte de rupture est faible); les surfaces de rupture sont irrégulières (fig. 3), de sorte que le critère de glissement s’exprime sous la forme t = C + (nu ) tg ( + ), où est l’angle de frottement physique et l’angle de dilatance, c’est-à-dire l’angle que fait le vecteur déplacement au début du mouvement avec le plan moyen de la surface de glissement.

La reconnaissance d’un site rocheux au point de vue mécanique consiste surtout à repérer l’orientation des grandes fissures et des grands accidents géologiques qui peuvent avoir un effet sur le comportement des massifs. Généralement, plusieurs systèmes de fissures coexistent sur un même site. On peut dire que la connaissance des fissures, de leur orientation et de leur critère de rupture est plus importante que celle des propriétés de la roche elle-même.

4. Effet des sollicitations cycliques

La connaissance des effets nocifs des sollicitations répétées est importante dans la mesure où le critère de rupture, pour les sols comme pour les roches, ne se déduit pas d’une façon simple de celui du chargement monotone. Les sollicitations cycliques, classées par ordre de périodes décroissantes, peuvent provenir du rythme saisonnier (remplissage annuel d’un barrage ou d’un silo), du rythme de la marée ou de celui des vagues, ou encore des séismes.

Pour un sable sec, ou pour un sable saturé d’eau mais sollicité suffisamment lentement pour que la pression interstitielle se dissipe, le critère de rupture statique le plus général peut se représenter dans l’espace des contraintes (O, 1, 2, 3) par un cône a symétrie ternaire de sommet O (fig. 4) à l’intérieur duquel est emboîté un autre cône qui définit l’état caractéristique, c’est-à-dire l’état de contrainte dans un trajet de chargement monotome partant de 1 = 2 = 3, où la variation de volume s’inverse; après qu’il se soit produit une contraction, il se produit un foisonnement lorsqu’on approche de la surface représentant le critère de rupture. En première approximation, un chargement cyclique passant du point A au point B engendre une augmentation cyclique asymptotique de la densité, et cette augmentation est d’autant plus grande que le point de départ A’ est loin du point B. Pour un trajet tel que AC, qui franchit la surface caractéristique, la densité croît puis décroît et, au bout d’un certain nombre de chargements, un cycle stable s’établit pour la variation de volume. Enfin, si le point C s’approche très près de la surface de rupture, le sol subit de grandes déformations, et la densité tend vers la densité critique.

Si les sollicitations sont appliquées suffisamment rapidement pour que l’eau interstitielle n’ait pas le temps de s’échapper d’un sable saturé, la tendance à la contraction du squelette granulaire engendre à chaque cycle un incrément de pression interstitielle qui diminue les forces de contact entre les grains. Lorsque u atteint la pression de confinement, les forces de contact s’annulent, et il existe un moment au cours du cycle où il n’y a plus de résistance: c’est le phénomène de liquéfaction des sables saturés, qui est particulièrement redoutable en cas de séisme, puisque le sol perd toute portance.

Pour les roches, les sollicitations cycliques sont aussi très néfastes. Mais la source de l’endommagement est différente et se situe dans le développement des fissures: à partir d’un certain seuil de contrainte, la fermeture suivie de l’ouverture des fissures provoque une extension progressive de leur longueur, puis la coalescence, enfin la ruine. Le phénomène est un peu analogue à la fatigue des métaux, même si la source de l’endommagement est plus grossière et différente dans les roches. Le nombre de cycles de chargement intéressant dans la pratique est aussi beaucoup plus petit pour les roches que pour les métaux: quelques milliers au lieu de quelques millions.

5. Les ouvrages géotechniques

Pour construire avec le sol, ou sur ou dans les sols et les roches, il faut pouvoir comparer en tout point les résistances et les contraintes, celles-ci étant la somme des contraintes initiales et des contraintes engendrées par la construction.

On a vu précédemment les difficultés qui sont liées à la géologie et au comportement des sols (reconnaissance par principe imparfaite, critère de rupture qui est fonction de l’histoire du chargement, conditions aux limites incertaines, contraintes initiales souvent mal connues). En revanche, et heureusement, les types d’ouvrages géotechniques sont relativement peu nombreux, de sorte qu’à côté des études de mécanique et des calculs numériques longs et difficiles qui peuvent être faits on dispose de l’expérience de nombreuses constructions analogues sur des sols plus ou moins comparables. Cette double approche, rationnelle et empirique, permet ainsi d’accorder une grande confiance aux projets que l’on fait actuellement en géotechnique.

On peut classer les principaux ouvrages en un certain nombre de familles: fondations superficielles (fondations sur longrines ou sur appuis isolés), fondations profondes (pieux, puits, ancrages), tassement des fondations et déplacements sous charges, murs de soutènement, équilibre des talus naturels et des barrages en terre, travaux souterrains, construction des routes et des chaussées routières, silos (où les grains sont souvent déformables) et, enfin, problèmes de dynamique liés aux séismes. Chacune de ces familles de problèmes utilise des théories et des approches différentes, et on possède dans chaque cas de nombreux abaques qui permettent même d’éviter l’emploi de formules explicites ou empiriques pour résoudre les cas les plus variés.

Mais il existe des cas où l’expérience antérieure n’est pas suffisante pour éclairer les choix, par exemple parce qu’on atteint des records en dépassant tout ce qui s’est fait jusque-là ou même parce que la structure envisagée est tout à fait originale (par exemple, les premières plates-formes off-shore en béton, ou bien les stockages souterrains de déchets radioactifs). L’extrapolation des ouvrages existants et les ouvrages originaux présentent toujours plus de difficultés et nécessitent une réflexion approfondie. Les approches théoriques explicites ou numériques sont alors indispensables, les calculs en plasticité parfaite, en élastoviscoplasticité, en thermoplasticité, les méthodes d’encadrement des solutions exactes par le calcul à la rupture sont alors d’un grand secours.

6. Le renforcement des sols et des roches

Dans la construction, on peut choisir ses matériaux mais, pour ce qui est du sol et de la roche, on est bien obligé de faire avec ce que la nature nous offre. Cependant, depuis le début des années quatre-vingt, les technologies de renforcement des sols et des roches utilisant des inclusions diverses ont fait des progrès considérables. Si les mélanges de plusieurs sols (stabilisation dite mécanique) ou l’addition de faibles quantités de ciment, de chaux ou de bitume (stabilisation chimique), le préchargement allié au drainage, ou les injections sont des méthodes employées depuis longtemps pour améliorer les terrains défectueux, les renforcements par inclusions ont permis d’obtenir des résultats spectaculaires. La terre armée, c’est-à-dire la mise en place, dans un remblai en construction par couches, d’armatures plates en acier galvanisé liées à une peau formée d’écailles en béton armé, fut, dans les années soixante, le précurseur des renforcements par inclusions. Le renforcement par géogrilles, par géotextiles perméables, par géomembranes étanches, éventuellement par des systèmes mixtes calandrés drainant d’un seul côté, par la création de massifs par projection de fils et de sable (Texsol), par clouage, par ancrages battus ou forés scellés, précontraints ou non, ont modernisé et étendu la gamme des procédés, cependant que des injections d’étanchéité ou de consolidation avec des coulis plus pénétrants ou au contraire plus épais pour serrer le sol par des « injections solides », l’obtention de colonnes in situ par malaxage à haute pression avec les coulis de ciment (jet grouting ), par malaxage à la chaux du sol en place (col mix ), les pieux en sable, les colonnes ballastées, la vibroflottation et le compactage par mouton très lourd, appelé compactage dynamique, permettent d’améliorer suffisamment les mauvais sols ou de renforcer les massifs rocheux de façon à les rendre aptes à supporter les efforts des structures qu’on doit y constuire.

Tous ces exemples montrent que la géotechnique, c’est-à-dire les techniques de la construction sur le sol ou avec le sol pour le génie civil et pour les fondations des bâtiments, a considérablement évolué depuis ses origines lointaines. Les propriétés mécaniques des sols et le rôle de l’eau dans le sol ou dans les roches ont été de mieux en mieux compris, mesurés et utilisés dans les calculs. Mais la géotechnique a dû s’adapter aux dimensions parfois énormes de certains ouvrages modernes ainsi qu’à la formidable mécanisation des chantiers, qui ont posé de nouveaux problèmes. Ainsi, les grands travaux de terrassement, comme ceux des lignes de chemin de fer à grande vitesse, apportent de véritables blessures écologiques à l’environnement: le T.G.V. Sud-Est a représenté 42 millions de mètres cubes de terrassement (dont 7 millions de terre végétale); le T.G.V. Nord représente 30 millions de mètres cubes de terrassement (dont 5 millions de terre végétale et 14 millions de dépôts de déblais). Sur de tels chantiers, on conserve précieusement la terre végétale pour la remettre ensuite en place, permettant ainsi une cicatrisation rapide des entailles faites dans la nature. Au XXe siècle, l’influence de l’homme sur son environnement a pris une véritable dimension géologique, que ce soit pour les remblais, les déblais, les travaux fluviaux, maritimes, miniers, ceux qui sont liés à la production d’énergie ou au stockage de déchets... Il devient nécessaire de gérer cette croissance avec prudence et efficacité.

géotechnique [ ʒeotɛknik ] adj.
• 1967; de géo- et technique
Didact. Qui concerne les applications techniques (mines, routes, voies ferrées) de recherches géologiques.

géotechnique nom féminin Étude des propriétés des sols et des roches en fonction des projets de construction d'ouvrages d'art. ● géotechnique adjectif Relatif à la géotechnique. ● géotechnique (expressions) adjectif Navire géotechnique, navire destiné à l'étude des fonds marins jusqu'à une centaine de mètres de profondeur, et muni d'appareils de forage, de dragage, etc.

géotechnique
n. f. et adj. Géologie appliquée à la construction et aux travaux publics.
|| adj. étude géotechnique.

géotechnique [ʒeotɛknik] adj. et n. f.
ÉTYM. 1967; de géo-, et technique.
Didactique.
1 Adj. Qui est relatif aux applications techniques (mines, routes, voies ferrées) de recherches géologiques. || « Synthèses géotechniques » (Science et Vie, no 106, 1974, p. 13).
2 N. f. Ensemble des techniques qui concernent les problèmes posés par la construction, qui dépendent des propriétés du sol.

Encyclopédie Universelle. 2012.

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